À notre arrivée au Myanmar, nous avions en tête le récit d’un voyageur croisé en Thaïlande, qui avait passé quelques jours renversants dans les montagnes de l’État Chin, isolé de tout parcours touristique. Nous voulions à tout prix suivre ses pas en allant nous perdre à notre tour dans la région (nous ne croyions pas si bien dire), et c’est après une halte autour du lac Inle (province sublime mais très impactée par le tourisme) que nous nous sommes mis en tête de rejoindre l’ouest du pays. Nous recherchions alors un peu de fraicheur (malmenés que nous étions par les hautes températures de saison, s’élevant jusqu’à 43°C), ainsi que de calme loin des zones touristiques. Nous savions qu’il nous faudrait une bonne dose de patience (et de chance) pour y parvenir avant les fêtes de Thingyan (le nouvel an birman). À cette occasion, le temps se suspend littéralement au Myanmar ; les réseaux de transports routiers, ferroviaires ou maritimes se mettent en pause et tout le monde nous prévient que pendant une semaine, il sera très difficile de se déplacer dans le pays.
La plupart des birmans que nous croisons à ce moment-là semblent très étonnés de notre intérêt pour l’État Chin (d’ailleurs, la majorité de ces gens n’a jamais entendu parler de la ville que nous cherchons à rejoindre). Nous trouvons pourtant miraculeusement deux places dans un minubus de dernière minute au départ de Nyaung Shwe. Après avoir tenté vainement de nous séparer d’une partie de nos bagages (nous souhaitions les faire envoyer directement à Mandalay, étape suivante de notre périple), nous faisons donc route vers Chauk, petite bourgade située à environ deux cent kilomètres de notre destination. Après treize heures éprouvantes de route dans un véhicule assez désuet, aux côtés d’une voisine de siège souffrante ponctuant le trajet de ses douces effluves nauséeuses, nous posons enfin le pied à Chauk. Il est alors dix-sept heures passées et sur place, nous parvenons à déposer notre excédent bagage au poste de police.
À Chauk, nous décidons de repartir sans attendre, la nuit approchant à grands pas. Nous embarquons pour quelques kilomètres sur le toit d’un camion de transport de marchandises, avec un groupe de jeunes birmans exaltés par notre présence, puis nous ne marchons que quelques minutes avant qu’un pick-up d’adorables producteurs de bois s’arrête pour nous rapprocher du premier village sur notre route. Les producteurs ne vont pas exactement au village, mais nous proposent d’attendre à leurs côtés, à la nuit tombée, que deux adolescents (leurs fils et un ami peut-être) prennent le relai pour nous y déposer en scooter. Comme il fait nuit noire à notre arrivée à Ka Zun Ma, nous installons notre hamac dans une petite case abandonnée, sur les bords d’une rivière à sec.
La nuit est courte, interrompue par de nombreux moustiques mais au petit matin, la vue compense les petits tracas nocturnes ! Nous nous réveillons au milieu des vaches, qui acceptent sans broncher cette cohabitation farfelue. A quelques mètres, un groupe d’ouvriers accepte quelques photos contre des cigarettes et les jeunes hommes nous emmènent rencontrer le reste de leur famille, fiers de nous faire découvrir leur activité (travail du bois et culture d’oignons).
Nous repartons ensuite en direction du sommet, mais malgré nos haltes « boissons fraiches » chez d’adorables birmans, nous nous arrêtons au premier coin d’ombre, complètement à plat. Nous sommes peu de temps après invités à monter dans un minibus plein à craquer, les passagers birmans s’étant entassés en rang d’oignons à l’arrière pour que nous puissions jouir de deux confortables places assises. Après une infructueuse tentative de négociation pour que nous échangions nos places avec les autres passagers, plus légitimes (les birmans sont rudes en affaire en ce qui concerne le confort des touristes), nous faisons route vers Saw. Le minibus s’arrête à Thee Kone, grand hameau situé à une trentaine de kilomètres en amont. Mais là encore, nos bienfaiteurs nous convient chez eux pour patienter avant l’arrivée de deux hommes en scooters, chargés de nous conduire à la ville. Ravis que ces chauffeurs inespérés nous prennent en charge, nous ne faisons pas la fine bouche mais prenons quand même un peu peur sur la route, leur conduite « sportive » dans des chemins de terre sinueux ne nous mettant pas particulièrement en confiance. Mais nous arrivons sains et saufs à Saw.
Peu de kilomètres séparent Saw de Kanpetlet, notre point de chute, dernier village d’altitude avant le parc naturel du Mont Victoria, Nat Ma Taung (ce fut également notre trajet le plus laborieux puisque seulement quelques voitures font ce trajet par jour). Nous attendons plusieurs heures avant d’embarquer dans un camion de transport de graviers, probablement le véhicule le plus lent de toute la Birmanie. Nous mettons plusieurs heures à parcourir les trente derniers kilomètres, en compagnie de jeunes hommes pourtant charmants bien qu’assez peu bavards.Nous passons la nuit suivante dans un hôtel (il y en a trois à Kanpetlet) où nous parvenons à négocier la location d’un scooter pour le lendemain. Arrive donc le jour où nos très mauvaises facultés d’organisation nous font assurément le plus cruellement défaut. C’est en effet tous guillerets que nous partons dans la matinée pour une journée de randonnée en milieu sauvage (à Nat Ma Taung, les visiteurs sont seuls avec la nature). Or, nous prenons la route… sans nourriture, sans vêtements pour nous couvrir (le sommet culmine à 3000m), et surtout… avec seulement 20cl d’eau pour nous deux. Forts de cette absence totale de réalisme, nous décidons de troquer notre randonnée contre la même balade à scooter, pour économiser nos forces et ne pas avoir à écourter notre passage en montagne. Nous arrivons au sommet sans encombres, et profitons du point de vue pendant quelques instants, le temps d’échanger avec un birman qui nous vante la beauté et l’ambiance d’un petit village à une quinzaine de minutes du sommet sur l’autre versant de la montagne. Après une légère hésitation, nous décidons de partir à la recherche de ce village. Nous estimons que s’il a mis quinze minutes à venir, nous en mettrons probablement une bonne trentaine, étant moins habiles que les locaux avec un scooter en pleine montagne.
C’est alors que les choses se corsent : A une dizaine de minutes du sommet, notre vaillant véhicule tombe en panne. Nous avions pourtant vérifié les niveaux d’essence (mais oublié de prendre en compte qu’au Myanmar, il ne faut jamais se fier à une aiguille sur un cadran). Le constat est sans appel : Nous sommes à sec, sans eau, sans nourriture, à environ 2700m d’altitude, sur un versant de la montagne qui n’est pas relié à Kanpetlet. Deux choix s’offrent alors à nous :
1) Remonter la pente en abandonnant notre scooter pour aller chercher du renfort à Kanpetlet (environ 4h30 de marche rien que pour l’aller), ou :
2) descendre de ce côté-ci en poussant le scooter, en espérant tomber sur ce fameux village (et en espérant qu’ils auront de l’essence à nous vendre).
Le dilemme est cruel, mais nous optons dans l’incertitude la plus unanime, pour le choix numéro deux. Nous marchons alors, encore, et encore, et encore, pendant plus de trois heures, sans croiser personne et sans savoir s’il y avait ou non des habitants en contrebas. Au moment où nous étions à deux doigts de nous laisser mourir sur le bord du chemin, complètement desséchés et rompus, nous apercevons au loin ce qui se rapproche le plus à une structure construite depuis notre départ. Le chemin commence à remonter et nous abandonnons notre scooter pour arriver plus vite aux habitations. Comme je suis toujours là pour raconter cet épisode, il va sans dire qu’il s’agissait effectivement d’un hameau (d’environ 4 maisons). Nous arrivons sur place complètement excités mais perplexe quant à la possibilité qu’il y ait du carburant par ici… La première personne que nous découvrons semble avoir vu un fantôme, mais nous imaginons bien que peu de blancs doivent atterrir dans cette partie du territoire Myanmar. Nous mimons (assez habilement je dois dire) une panne de scooter, et l’homme nous emmène vers une autre habitation. En tentant de communiquer tant bien que mal avec les quelques mots birmans que nous avons appris au cours de notre voyage, nous comprenons que nous nous trouvons dans l’un des villages minoritaires Chin, ici on ne parle pas birman mais un dialecte local. Pendant que je joue avec un groupe d’adorables enfants qui s’amusent avec un ballon crevé tout en me dévisageant avec intérêt (chacun porte sur son dos un bébé), Bruno tente de se faire comprendre auprès des adultes. Il y parvient puisqu’il revient avec trois grandes bouteilles d’eau remplies d’essence, deux « jus de fruits » très concentrés en sucre et une petite bouteille d’eau bouillie. Nous sommes sauvés ! Nous retournons chercher notre scooter non sans les avoir remerciés chaleureusement de leur précieuse aide et entamons notre retour à l’hôtel. La nuit tombe déjà.
Nous repartons de Kanpetlet le lendemain matin, le vent ayant tourné puisque nous tombons à la porte de notre hôtel sur un car de touristes venant de la capitale, qui nous redescend directement jusqu’à Chauk (en moins de 6h).
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